L’équation LMD
« Il vaut mieux la variété dans la recherche de la vérité que l'unité dans l'affirmation de l'erreur » (E. Herriot)
La globalisation et la refonte de l’enseignement supérieur* qui semble logiquement en découler constituent deux processus diversement perçus, et il s’agirait pour les pays du Sud dont le nôtre, d’embarquer dans un avion piloté par le Nord. Cette refonte dite « système LMD » a atterri en Algérie et vient de connaître la sortie de ses premières promotions détentrices de diplômes de licence obtenus après trois années d’études. Ce modeste papier étant loin de dresser un état exhaustif des lieux d’une réforme « adoptée » et engagée mais encore en « rodage »,nous nous limiterons alors de livrer en un survol, des appréciations éparses sur celle-ci à partir d’une lecture et d’une pratique d’enseignement qui nous poussent à un légitime questionnement.
Avant d’aborder l’état partiel des lieux dans nos universités, il faudrait peut être rappeler quelques lignes directrices contenues dans divers textes émanant de cette refonte déclenchée suite à une étude menée sous la direction de Jacques Attali et ayant fait l’objet en 1997 d’une publication. Celle-ci a ensuite donné lieu à un rapport en date du 5 mai 1998, soit une vingtaine de jours avant la réunion de la Sorbonne, pour le lancement du LMD. Une deuxième réunion regroupant les ministres de l’éducation nationale de 29 pays européens s’est tenue à Bologne en juin 1999 pour la poursuite des réflexions entamées à la Sorbonne. La construction de l’espace européen de l’enseignement supérieur, appelée également processus de Bologne, est alors suivie à travers des rencontres bisannuelles dont celle de Bergen du 20 mai 2005.
Le système LMD est caractérisé par son uniformisation à travers la reconnaissance mutuelle des diplômes, pour résoudre, selon ses concepteurs, les problèmes d’équivalence et faciliter la mobilité universitaire. Le parcours doit comprendre des enseignements théoriques, méthodologiques, pratiques et appliqués ; les cours représentant au maximum la moitié des enseignements. Les stages en milieu professionnel font partie du cursus à ses différents niveaux .La formation doit intégrer l’apprentissage des méthodes de travail universitaire et l’utilisation des ressources documentaires. L’enseignement des langues étrangères et l’usage de l’outil informatique y occupent une place majeure. La maitrise d’au moins une langue étrangère est requise pour la validation du diplôme. L’étudiant doit bénéficier d’un « dispositif d’accueil, de tutorat, d’accompagnement et de soutien tout au long de son parcours ». Le rapport Attali préconise une évaluation systématique, efficace et transparente des établissements universitaires et des enseignants puis relève que la réussite du projet est une mise en œuvre entre les Etats, les institutions et les partenaires sociaux (syndicats, enseignants et étudiants).A cet effet , la rencontre de Salamanque (Espagne) du 30 mars 2001 qui a réuni 300 institutions européennes en créant l’EUA (European Universities Association) note que parmi les principes d’harmonisation du système européen de l’enseignement supérieur , « l’autonomie universitaire est une condition nécessaire » pour asseoir cette réforme et « l’Assurance Qualité est la clé du succès ». Des comités de suivi qui rassemblent des syndicats d’enseignants et d’étudiants ainsi que des représentants des établissements (universités, lycées et grandes écoles) ont été mis en place pour « étudier l’application des textes, conduire des réflexions sur divers domaines, analyser les démarches d’innovation et assurer le bilan des procédures d’évaluation ». D’autre part, si la publication de Jacques Attali et de ses collaborateurs est à l’origine du processus de Bologne, les concepts d’évaluation formative, de pédagogie du contrat et du projet personnalisés, du tutorat individualisé, et de l’activité constructiviste relèvent de divers courants de pensée antérieurs à cette publication. Enfin, de la rencontre de Bergen qui a regroupé quarante cinq pays d’Europe, nous nous limiterons à noter la prise en compte de la « dimension sociale » et de « la garantie de la qualité de l’enseignement ».Voilà donc succinctement quelques éléments de cette refonte qui concerne à présent encore plus de pays, du Portugal à la Russie, en passant par le Maghreb et la Turquie et qui a provoqué maintes réactions entre désapprobations, appréhensions et satisfactions.
Qu’en est-il alors en ce qui concerne l’Algérie ? Quel est le degré de faisabilité et d’applicabilité du processus de Bologne ? Comment nos universités doivent- elles faire face aux exigences d’un système LMD qui nécessite des moyens assortis d’une gestion adéquate ? Sachant que cette refonte accorde une certaine marge de manœuvre aux universités, comment pourrions nous apporter notre pierre à une construction, en évitant de faire dans le surmoulage assoupi, pur et simple ? L’impression générale dégagée par l’application de cette réforme dans nos universités est que la sensibilisation, l’information et la large concertation demeurent encore insuffisantes pour une adhésion qui est la condition sine qua non du succès d’une entreprise d’une telle envergure. D’autre part, l’évaluation systématique, efficace et transparente des établissements et des enseignants, s’apparente à un audit et nous pouvons dire que nous n’avons pas encore constaté des bribes d’existence d’une telle démarche dans nos structures éducatives. Pour parler encore d’évaluation, mais qui concerne cette fois ci l’étudiant, ne devrions nous pas accorder une bonne place à l’évaluation formative ? L’évaluation sommative telle que conçue et les conditions de travail présentes figurent parmi les facteurs qui rendent nos étudiants rétifs à des échanges entre eux, l’émulation laissant place à une ardeur compétitive malsaine. Par ailleurs, la réunion de Salamanque souligne le principe de l’Assurance qualité, car c’est la qualité de l’enseignement qui engendrera la mobilité des étudiants et la reconnaissance mutuelle des diplômes, mais non pas ce système LMD en lui-même. En effet, dans les années soixante dix et quatre vingt, les étudiants algériens pouvaient aisément s’inscrire dans n’importe laquelle des universités ou des grandes écoles dans le monde , à cette époque qui comprenait grosso modo deux modèles de cursus universitaires, le système français et le système anglo-saxon qui rappelle par certains de ses aspects le système LMD. Est il également nécessaire de préciser que la qualité de l’enseignement est une problématique qui concerne tous les paliers du système éducatif, puisque nous sommes souvent et plutôt amenés à combler des lacunes qu’à progresser dans l’aide à la construction des connaissances d’un auditoire estudiantin qui n’a pas encore acquis les capacités suffisantes et requises d’analyse et de synthèse .D’autre part , comment pouvons nous réaliser un dispositif d’accueil, un accompagnement et un tutorat alors que l’important flux des étudiants et l’insuffisance d’un encadrement globalement mal préparé ne nous le permettent pas ? En outre, les tuteurs ont besoin de bureaux ou, à défaut, d’une petite salle commune pour recevoir les étudiants, quand on sait que beaucoup de nos universités n’offrent pas les commodités minimales pour inciter la communauté universitaire à demeurer, en dehors du temps des charges pédagogiques, dans un campus plus accueillant et stimulant. Il faudrait aussi préciser que le tuteur n’est pas forcément et toujours un enseignant, mais aussi un étudiant en fin de cursus pour ses camarades moins avancés que lui ou un cadre d’entreprise pour l’étudiant en stage en milieu professionnel. Et là il ne s’agit plus de relever la faiblesse des liens entre l’université et le tissu socioéconomique, mais de réfléchir aux actions et moyens à mettre en œuvre afin de renforcer ces liens qui sont naturellement censés répondre aux besoins socioéconomiques. Et comment peut-on impliquer les partenaires socioéconomiques ?
Quant à l’apprentissage des langues étrangères considéré comme une exigence dans le processus de Bologne, et pour ce qui concerne notre pays, le français ce « butin de guerre », cette langue familière qui ne nous est pas tout à fait étrangère puisqu’elle estampille notre environnement , et qui constitue la langue d’enseignement des sciences dans beaucoup de Facultés, nous pensons donc que son enseignement répondra aux attentes si son contenu et ses méthodes font l’objet d’une étude qui doit regrouper les enseignants du français et ceux des autres matières scientifiques. Et il faut le dire : une grande partie des étudiants ne comprend pas un enseignement dispensé en français. Et s’il est vrai que les collègues s’évertuent à fournir des explications en arabe et en français, cela ralentit le volume d’acquisition des connaissances et n’aide pas l’étudiant à savoir reproduire celles-ci lors d’une évaluation écrite.
Par ailleurs, au niveau de la réforme de l’éducation nationale, il nous apparaît que l’enseignement du français, la transcription en deux et parfois en trois langues (arabe, français et anglais) des concepts de sciences physiques ou naturelles et l’utilisation de la transcription universelle des formules mathématiques ou de sciences physiques sont à consolider par des évaluations. À cet effet, une concertation régulière entre les structures des divers paliers de l’enseignement nous parait fructueuse.
Concernant maintenant l’utilisation des ressources documentaires et si nous nous limitons aux documents imprimés, nous savons que nos librairies sont insuffisamment pourvues d’ouvrages universitaires et ceux qui sont disponibles sont généralement onéreux. De plus, la gestion souvent dépassée des bibliothèques universitaires et le grand nombre d’étudiants, particulièrement dans certaines filières de première année, n’encouragent pas l’emprunt d’ouvrages .Pour régler partiellement ce problème, nous suggérons la confection de polycopiés. Sachant qu’un cours d’une heure trente minutes nécessite dans le meilleur des cas, pour l’enseignant, une préparation d’une durée de trois heures, et sachant que nos étudiants ne peuvent pas et ne savent pas prendre des notes, à cause notamment du problème linguistique, n’est il pas alors souhaitable d’instituer une structure interuniversitaire sous l’égide de la tutelle pour la confection de polycopiés types destinés aux étudiants et aux enseignants , de façon à uniformiser les contenus ?Les responsables devraient encourager la confection de tels ouvrages qui serviront de base de travail. La séance de cours sera alors réservée à l’explication et à l’approfondissement du contenu des polycopiés , évitant ainsi à l’étudiant cette prise de notes « effrénée » (qui accapare la majeure partie de son temps ) en lui permettant de mieux se concentrer sur la compréhension et l’assimilation. Dès lors , la durée de préparation d’un cours pourrait être utilisée par l’enseignant à d’autres fins pédagogiques telles le tutorat , l’apprentissage ou le renforcement de l’ expression orale qui fait cruellement défaut chez nos étudiants ; le gain de temps réalisé aussi bien par l’enseignant que par l’étudiant permettra sans aucun doute d’avancer normalement et efficacement dans un programme où l’uniformité et l’harmonie sont souhaitées , et ceci à plus forte raison pour des matières fondamentales de première année d’université dans certaines filières qui drainent un grand nombre d’étudiants. Et ainsi le déficit d’encadrement sera plus ou moins atténué.
Le processus de Bologne a également introduit des unités d’enseignement de découverte ou d’ouverture dont par exemple l’enseignement de l’histoire des sciences. Cette discipline présente des assises dans les pays développés, car des laboratoires universitaires y travaillent bien avant l’instauration du système LMD. En Algérie, où l’université n’a pas encore acquis une certaine expérience dans des enseignements tels l’Histoire des Sciences, du profil de l’enseignant va dépendre le contenu de l’enseignement qui va donc présenter des disparités en contradiction avec l’harmonie ou la lisibilité préconisées par cette refonte. En outre, quelle Histoire et quelles sciences devraient être enseignées ? Il faudrait probablement réfléchir à un canevas, à défaut d’un polycopié type. Cette unité de découvertes comme d’autres unités demande une formation appropriée qui évite de surcroit, le piège idéologique, dans la mesure où la paternité d’une découverte ou d’un phénomène scientifiques est parfois occultée ou détournée sinon pas trop mise en évidence. Il faudrait donc envisager la création de laboratoires pour développer des domaines de connaissances qui nécessitent souvent une vision transdisciplinaire. A titre d’exemple, les activités de recherche didactiques devraient être encouragées, car ce sont celles-ci qui vont directement participer à l’amélioration de la qualité de la formation.
Quant aux séminaires, qu’ils soient nationaux ou internationaux et dont l’utilité n’est pas à souligner, un colloque sur l’Histoire des Sciences s’est déroulé à Alger, ce début du mois de novembre, et ne semble pas avoir fait l’objet d’une large information pour permettre aux enseignants concernés d’y participer. Deux autres séminaires internationaux eurent lieu à Oran, au début du mois de décembre 2007, l’un à l’université d’Es Sénia portant sur le LMD, l’autre à l’université Mohamed Boudiaf consacré à la Physique et ses applications. Lors de ce dernier colloque, l’un des sept thèmes retenus portait sur le LMD et la Didactique. Il était alors souhaitable que les deux rencontres d’Oran ne fassent pas l’objet d’un chevauchement. De plus, quand on entend affirmer, lors du séminaire international sur le LMD, et comme un cheveu sur la soupe que le LMD rime avec Liberté, Démocratie et Modernité, ça n’a pas alors l’air d’épouser les contours d’un débat scientifique. Ça a donc tout l’air d’assimiler les participants à des cornichons et un auditorium d’université à une estrade politicarde. Il n’en demeure pas moins, fort heureusement, que le colloque sur le LMD a pu réunir des universitaires issus de différentes formations, chose peu courante qui a donné lieu à des interventions et des débats instructifs. Enfin, il est souhaitable d’instaurer une tradition, celle de conclure tout séminaire par un débat final qui dégagera des recommandations écrites et transmises aux structures et parties intéressées. Cette matérialisation consensuelle des réflexions et nous évitera le « patinage » dans les méandres de la mémoire.
Concernant donc ce système LMD, son architecture organisée en semestres rappelle le système modulaire des années soixante dix en Algérie. Et dans ce sens, il semble préférable d’avoir comme période de vacances, en sus de celle de l’été, une session se situant au milieu de l’année universitaire, de façon à avoir deux semestres d’égales durées. Si la division symétrique de l’année universitaire n’arrange pas les enseignants dont les enfants sont scolarisés dans l’éducation nationale (et nous en faisons partie), cette division peut être un facteur clef d’une gestion optimale du temps et de l’activité pédagogiques.
Pour revenir à la mobilité de la communauté universitaire dans le cadre de la mondialisation, nous espérons que notre pays arrivera encore à former et essentiellement pour ses propres besoins mais non pas pour ceux, entre autres, qui « choisissent leur émigration ».Le Nord peut et devrait établir avec le Sud une large coopération mutuellement profitable qui ne devrait pas se limiter à un pompage de pétrole et de matière grise en échange de biens uniquement matériels. Quand on pense que l’altermondialisation née dans le Nord regroupe divers tendances politiques, la mondialisation pourrait se faire si notre pays et tant d’autres ne doivent pas se limiter à être des voyageurs malgré eux, dans un ciel nébuleux. Autrement, il s’agirait, pour les pays du Sud dont le nôtre, d’embarquer dans ce « zinc » qui risque un atterrissage en catastrophe, d’autant plus qu’il n’est pas certain que nous puissions disposer de ceintures de sauvetage. Pour conclure avec le LMD, voilà donc encore un papier qui pose plus de questions qu’il ne dégage de réponses. Un papier de plus parmi les nombreuses contributions de collègues qui visent à défricher le terrain. Sinon, ces papiers serviront, tout au moins, d’exutoire à nos appréhensions. Car si les éléments nécessaires mais pas suffisants, de motivation et d’adhésion tels l’information et la formation ne sont pas convenablement pris en charge, du processus de Bologne, nous risquons de n’avoir qu’une mixture à base de sauce bolognaise pour une « chorba » indigeste.
* cet article a été publié sur le quotidien national LQO
Rachid Brahmi .Université d’Oran Es Sénia.